jeudi, 23 juillet 2009
La corrida : une philosophie et un art !

« La corrida est un art.
Elle donne forme à une matière brute, la charge du taureau ;
elle crée du beau avec son contraire, la peur de mourir ;
elle exhibe un réel dont les autres arts ne font que rêver. »
La corrida, sujet qui a été récemment longuement évoqué sur La Question, en interrogeant son lien avec la religion, est-elle un art et une philosophie ? Très certainement, c’est ce que soutient Francis Wolff dans un excellent livre qui constituera une bonne lecture d’été, permettant de faire justice de bien des clichés inexacts. Comme l’explique la 4e de couverture :
- « La corrida a inspiré les plus grands artistes et nombre de théoriciens. Mais nul, à ce jour, ne s'était aventuré à philosopher sur elle. C'est le défi qu'a relevé Francis Wolff [Directeur du département de philosophie de l'École normale supérieure, auteur de plusieurs ouvrages, notamment Aristote et la politique (PUF, 1997), Socrate (PUF, 2000) et Dire le monde (PUF, 2004)]. A le lire, on comprend que la corrida, parce qu'elle touche aux valeurs éthiques et qu'elle redéfinit l'essence même de l'art, est un magnifique objet de pensée. La corrida est une lutte à mort entre un homme et un taureau, mais sa morale n'est pas celle qu'on croit.
Car aucune espèce animale liée à l'homme n'a de sort plus enviable que celui du taureau qui vit en toute liberté et meurt en combattant. La corrida est également une école de sagesse : être torero, c'est une certaine manière de styliser sa vie, d'afficher son détachement par rapport aux aléas de l'existence, de promettre une victoire sur l'imprévisible. La corrida est aussi un art. Elle donne forme à une matière brute, la charge du taureau ; elle crée du beau avec son contraire, la peur de mourir ; elle exhibe un réel dont les autres arts ne font que rêver. Sous la plume jubilatoire de Francis Wolff, on découvre ce que Socrate pensait de la tauromachie, que Belmonte peut être comparé à Stravinsky, comment Paco Ojeda et José Tomàs fondent une éthique de la liberté et pourquoi Sébastien Castella est un virtuose de l'impassible...»
Un ouvrage à conseiller à ceux qui veulent approfondir un peu le sujet, et non en rester aux idées stéréotypées en la matière, sachant que si en
Camargue le taureau est roi, puisqu’il est présent dans les marais depuis l'Antiquité, et que c’est autour de lui que vivent traditions et culture, la tauromachie espagnole se diffusant en France dès 1701 (la restauration des arènes arlésiennes à partir de 1825 a permis d'organiser la course libre ou course camarguaise, la première corrida dans les arènes a eu lieu en 1830), non seulement c'est la race des taureaux de combat qui disparaîtrait en peu de temps si la corrida venait à cesser, mais de plus, c'est l'ensemble de l'écosystème lié à l'élevage taurin également, qui représente tout de même 400 000 hectares en Espagne et presque autant dans les marais de Camargue sous contrôle du Parc Régional, dans les garrigues languedociennes, les collines gersoises ou le piémont pyrénéen, qui se verrait très rapidement détruit, ou mieux encore, transformé rapidement, surtout du côté espagnol où la convoitise des espaces est très élevée, en parkings, autoroutes, immeubles, supermarchés. La corrida représente donc bien plus qu’un simple débat entre partisans et adversaires, mais soulève en fait la question de la place de la tradition dans un monde moderne souhaitant de plus en plus rompre avec son passé, alors même que depuis toujours l’homme et les sociétés auxquelles il appartient, génèrent des symboles, des mythes, qui furent comme une possibilité analytique du réel, de sorte que sans cesse, l’individu cherche un au-delà de lui-même, un dépassement, un vertige immense à la dimension de l’Absolu qu'incarne, fort heureusement, encore aujourd'hui la tauromachie.

Georges Guinot - L'Attaque - (peinture à l'huile)
Par ailleurs nous proposons cet entretien fort intéressant avec Pedro Cordoba, Maître de conférence à la Sorbonne (Paris IV), qui enseigne la littérature et la civilisation espagnoles, antérieurement détaché au CNRS et chargé de conférences à l’EHESS de Paris, et qui a codirigé avec Francis Wolff « Éthique et esthétique de la corrida ». C’est à Arles, où il a vu ses premières corridas dans son enfance, dont il parle avec le sérieux d’un érudit et la passion d’un aficionado, à rebours de toutes les idées reçues que suscite la tauromachie, du torero assassin sadique à l’érotisme macabre du combat.
Pour aller plus loin :
Ouvrages généraux
— Histoire de la tauromachie. Une société du spectacle, Bartolomé Bennassar, Desjonquères, 1993
— Le Taureau et son combat, Claude Popelin, 1966 ; rééd. de Fallois, 1993
— La Tauromachie, Robert Bérard, coll. Bouquins, 2003
— Histoire de la corrida en Eu rope du XVIIIe au XXIe siècle, Élisabeth Hardouin- Fugier, Connaissances et savoirs, 2005 (ou plutôt anti-histoire de la corrida)
— Corridas : d’or et de sang, Marine de Tilly, éditions du Rocher, 2008 (essai)
Témoignages
— Des taureaux dans la tête, François Zumbiehl, Autrement, 2004
— Le Discours de la corrida, François Zumbiehl, Verdier, 2008
— À partir du lapin, Francis Marmande, Verdier, 2002
— Humbles et phénomènes, Jacques Durand, Verdier, 1995
— Chroniques taurines, Jacques Durand, de Fallois, 2003
— La Solitude sonore du toreo, José Bergamín, Verdier, 2008
— L’Art de birlibirloque, Bergamín, Le temps qu’il fait, 1998
Les figures de la corrida
— Le Coq et le Taureau. Comment le marquis de Baroncelli a inventé la Camargue, Robert Zaretsky, trad. Fr. Gaussen, 2008
— Figures de la tauromachie, Jacques Durand, Seghers, 1990
— Recouvre-le de lumière, Alain Montcouquiol, Verdier, 1997, rééd. 2007
— Le Sens de la marche, Alain Montcouquiol, Verdier, 2008
— OEillet rouge sur le sable, Florence Delay, Léo Scheer, 2002
Etudes sur la corrida
— Philosophie de la corrida, Francis Wolff, Fayard, 2007
— Le Danseur des solitudes, Georges Didi- Huberman, Minuit, 2006
— Les Tauromachies européennes. La forme et l’histoire, une approche anthropologique, Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques, 1998
— Lire les oeuvres de Bataille, Leiris, Montherlant, Hemingway, etc.
— les Lettres à Juan Bautista d’Yves Charnet, La Table ronde, 2008
— Picasso et Leiris dans l’arène, Annie Maillis (Cairn, 2002)
— Michel Leiris, l’écrivain matador, Annie Maillis, L’Harmattan, 2000
Colloques
— Des taureaux et des hommes (dir. Araceli Guillaume-Alonso, Jean-Paul Duviols, Annie Molinié-Bertrand, Presses de la Sorbonne)
— Éthique et esthétique de la corrida (dir. Pedro Cordoba et Francis Wolff, numéro spécial de la revue Critique, Minuit, 2007) (ENS de la rue d’Ulm)
Sites web
Vidéos françaises et espagnoles sur la corrida :
00:05 Publié dans Philosophie | Lien permanent | Commentaires (29) | Tags : reflexion, polémique, philosophie, art, religion | Imprimer |
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